Enfin un roman qui évoque le mal de vivre sans tomber dans le pathos ou dans le nombrilisme le plus insupportable. Qui ne s’est jamais avoué, a posteriori bien sûr, s’être menti à soi-même de la façon la plus abjecte? Et à plus forte raison durant l’époque très délicate du choix de son avenir par celui des études (ou non).
Les périodes de Noël se prêtent d’ailleurs à merveille à la lecture de cet ouvrage, l’illustrant par notre volonté obstinée de retrouver avec nostalgie la magie qu’elles revêtaient dans nos souvenirs d’enfance sans jamais plus pouvoir la toucher vraiment, la réalité (économique et familiale, évidemment) resserrant ses filets, empêchant souvent toute velléité d’insouciance.
Jérôme Ferrari expose d’une main de maître l’importance du mentor dans la prime adolescence, la difficulté de trouver son identité propre et les choix pertinents qui pourraient en découler, en particulier lorsqu’on est partagé entre deux pays et cultures, la solitude existentielle qui en découle et la douleur des choix qui réduisent le champs des possibles.
Soutenu par une écriture à la fois redoutablement efficace et extrêmement délectable, chaque mot étant parfaitement choisi et à sa place, rendant à la langue française toute son aura, on suit avec passion la vie de Matthieu qui cherche avec une ténacité louable à se créer un coin de paradis, ne pouvant que succomber aux mêmes pièges que lui, qui, pour faire perdurer le rêve, finit par se fondre dans la carapace de l’isolement. On finit par partager ses sentiments d’incompréhension et de malaise, et à reprocher à ceux qui l’aiment et le soutiennent de vouloir lui « ouvrir les yeux ».
Une fresque magnifique de personnages charismatiques et d’un pays, qui, pourtant, au travers de la théâtralisation d’un bar, pourrait en représenter tous les autres. Le sermon sur la chute de Rome fait partie de ces ouvrages dont on ne ressort pas indemne et qui ouvrent magistralement les yeux sur notre propre humanité, avec ses besoins contradictoires, ses questionnements, ses doutes et sa vulnérabilité.
Cette dernière, tellement encensée par les médias actuellement, est à la fois la cause de la perte mais aussi du salut du protagoniste. Elle renvoie à nos propres aspirations, à celles qui sont perdues à jamais, à celles qui sont vaines, et à celles que l’on partage avec tous. L’échec du personnage (mais en est-ce vraiment un?), est notre échec à tous, dans notre recherche du bonheur sans son contraire qui pourtant permet de le révéler.
Le sermon sur la chute de Rome, lauréat du prix Goncourt 2012, a été édité par Actes Sud en août 2012.