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Inde : quand le voyage rend fou

Craignez-vous parfois que votre univers mental ne bascule d’un seul coup ? Que vos repères, si chèrement acquis, ne s’étiolent, pour ne plus représenter qu’un lointain mirage, reflet d’une vie qui semble, soudainement elle-aussi, évanescente ? Ce n’est pas le scénario d’un nouveau film d’horreur de seconde zone, mais une maladie psychiatrique avérée, qui touche une partie des touristes occidentaux se rendant en Inde. Mieux qu’une drogue, qu’attendez-vous pour l’adopter ?

Comment faire pour l’attraper ?

Il est très difficile de déterminer qui sera touché ou non par le syndrome indien, puisqu’il atteint les personnes saines d’esprit de façon relativement aléatoire à des moments différents. Il existe néanmoins quelques ingrédients clés qui devraient faire recette :

– Arriver en Inde particulièrement préoccupé par des problèmes laissés derrière soi

– Opter pour une compagnie aérienne proposant un maximum d’escales. S’installer près d’un jeune couple indien avec enfant, qui, ne bénéficiant pas de la bienfaisante tétine, vous interdira tout repos

– Choisir de loger chez l’habitant. Le choc culturel sera encore plus important qu’à l’hôtel et, surtout, vous n’aurez aucune échappatoire

– Aller faire des emplettes : le bruit des klaxons, des (mauvais) haut-parleurs des temples hindous, l’agitation, les odeurs et la chaleur : tel un ballon de baudruche qui se dégonfle, vous allez ressentir très rapidement une abîme énergétique des plus salutaire pour l’objectif qui nous occupe

– Mettre un short pour vous assurer d’attirer regards amusés ou réprobateurs, et interpellations

– Manger de la viande et des légumes crus afin d’avoir une bonne dysenterie salvatrice

– Et enfin, prendre le train ou le bus

Attention surprise, les effets risquent de se faire ressentir d’un coup : ça commence par des frissons, puis des larmes incontrôlables, enfin l’angoisse, dévorante et rebelle, qui interdit de réfléchir et assombrit, telle un mangemort, la moindre étincelle d’espoir, jusqu’à l’ultime velléité d’optimisme. Avec un peu de chance, vous serez dans un lieu public et pourrez donc ajouter la honte au reste des griefs que vous vous auto-infligerez.

Si la crise dure longtemps, des petites hallucinations peuvent survenir : vous aurez alors par exemple le sentiment que chaque personne qui vous entoure est en train de se rapprocher dangereusement de vous, dans un mouvement irrésistible, si bien décrit dans le Parfum de Suskind. Et, bien sûr, la fin inéluctable potentielle que vous imaginerez, vous renverra à la question ultime, celle du sens de la vie, climax de l’état dépressif de la maladie.

Pour sortir de l’engrenage, puisez dans le peu de lucidité qu’il vous reste pour trouver un repère culturel suffisamment puissant pour vous sortir – psychologiquement – de là (un coup de téléphone ne suffit pas, parce qu’il accentuera encore la sensation de distance) : il faut du concret (urgence oblige) : lieu bien aseptisé, de l’espace, un bon vieux car de touristes fera même parfois l’affaire. Si vous le faites accompagné, assurez-vous au préalable que la personne en question vous aime sincèrement.

Mais pourquoi l’Inde ?

– L’industrie de Bollywood, très prégnante dans le pays, phagocyte de très larges parts de marché face au géant Hollywood qui, d’habitude, s’insinue dans les esprits et influence en douceur les individus (vêtements, façon de se tenir, de parler…)

– La culture indienne, millénaire et multiple, possède des racines très profondes et donc ultra solides. C’est même un aspect de l’Inde souvent salué : malgré sa taille et sa diversité, mais aussi la densité de sa population, la cohabitation est pacifique et il existe un véritable sentiment identitaire

– L’omniprésence de la spiritualité, la pauvreté et la rigidité du système des castes ne sont pas propices aux idées consuméristes et hygiénistes que nous affections

C’est pourquoi ce pays est si passionnant et c’est également la raison pour laquelle le quotidien et la culture matérielle diffèrent tellement de chez nous. Que vous ressentiez un élan spirituel en vous y rendant ou non, ce pays ne vous laissera pas indifférent. C’est en bousculant ses repères qu’on ouvre un espace propice aux réflexions, au changement et à la nouveauté, offrant des perspectives inédites sur sa propre vie. Reste à savoir comment favoriser une transition en douceur… Préparez-vous !