Oser dire tout haut les choses ou comment contourner les règles sociales

Vas-y dis-lui toi, qui ose tout.

Ce n’est pas vrai, je n’ose pas tout. J’ai souvent peur de blesser. Je déteste les conflits et suis parfois un brin susceptible. Comme tout le monde en somme. Par contre, je suis d’une étanchéité totale à la technique de la langue de bois, aux réunions et autres discours interminables qui ne touchent personne, au sortir desquels on se sent vidé et fatigué par manque de leviers d’action ou d’idées vraiment nouvelles. Je fuis les soirées corporate qui maintiennent chacun dans un rôle, avec une attente précise qui n’est jamais vraiment nommée, et son panel de circonvolutions et de small talk, ces mots qu’on balance pour ne rien dire mais pour exister quand même, et qui, mis bout à bout, finissent bon gré mal gré par créer une conversation.

Pourtant je crois dans la force du réseau comme vecteur de créativité et d’émulation intellectuelle. Mais pour parvenir à créer ce moment de grâce où l’on ressort stimulé, il faut réunir quelques ingrédients, à commencer par la confrontation à l’adversité. Observez le public des conférences: il vient toujours y chercher la confirmation de ce qu’il croit déjà savoir, qu’il soit pour ou contre l’exposé du conférencier d’ailleurs. Comme dans un jeu de rôle à échelle humaine, sans fantaisie, comme à l’école déjà, on cherche à ne surtout pas trop dépasser, on ne sait jamais que ce soit mal perçu, surtout si l’on ne se sent pas trop légitime d’être là.

Pourtant si l’on y regarde de plus près, ce sont surtout les personnes détendues qui s’attirent des auditeurs. Celles qui ne mettent pas (ou plus) d’enjeux ou d’attentes. Qui viennent pour se détendre ou se montrer, probablement parce que leur position dans l’échelle sociale très spécifique du lieu ou de l’événement le leur permet. Pourtant quand on y pense, elles ne ressortiront probablement pas avec des idées nouvelles puisque ce elles qui parlent, sans que personne n’ose trop réagir ou confronter car ce n’est ni le lieu, ni l’endroit, ni la personne. Pourtant, tentez le coup vous verrez, elles seront certainement très heureuses d’être challengées, voire un peu débarrassées de la charge d’animation qu’elles ont décidé de supporter.

Oser, c’est aussi simplement se rappeler que toutes ces personnes que vous rencontrez sont hautement probablement comme vous et moi: elles vivent avec leurs doutes et leurs peurs, leurs souvenirs honteux et leurs colères, leurs rêves inassouvis et leurs regrets.

Un costume plus beau ne signifie pas un portefeuille mieux rempli, une certaine aisance ne signifie pas qu’elles se sentent légitimes. Parfois ce sera une autre thématique, que vous maîtrisez mieux, qui vous connectera, et allégera soudainement l’atmosphère. Si vous avez quelque chose à dire en somme (qui ne soit pas dans l’optique d’agresser ou de vous faire remarquer car alors c’est un autre débat), dite-le simplement.

Je trouve vos travaux percutants mais j’attendais plus de faits précis qui puissent étayer vos propos. La évidemment il faut un peu maîtriser le sujet, mais si vous le pensez, si même vous êtes l’unique personne à le penser, c’est intéressant, c’est même plus intéressant pour la personne à laquelle vous vous adressez que tous ceux qui le félicitent, parce que ça lui permet de se remettre en question.

Variante : vous avez une tache de lait sur l’épaule, vous avez un nouveau né ? Certainement que la personne sera mal à l’aise, mais moins que plusieurs heures plus tard quand elle s’en rendra compte par elle-même. Peut-être a-t-elle une chemise de rechange qui la sauvera et si pas, vous aurez l’occasion d’aborder une thématique plus personnelle qui reste socialement acceptable (ce n’est pas comme si vous lui aviez dit : vous avez l’air d’avoir vos pensée confuses et la taille un peu lourde, vous ne viendriez pas d’accoucher?).

Oser c’est se rappeler que c’est le contexte qui crée souvent le malaise. 

Cette personne qui fait un discours se trouve là parce qu’elle maîtrise le sujet. Non, pas forcément. Elle est venue parce qu’elle y a été invitée par l’organisateur, qui devait trouver des personnes pour donner du corps à sa soirée/rencontre. Peut-être par son titre qui attire fait chic sur une invitation. Peut-être parce qu’elle est bonne oratrice, peut-être parce qu’elle a un réseau important de connaissances qu’elle allait attirer avec elle et donner ce faisant une impression de succès à l’événement. Peut-être le fait-elle par politesse ou par obligation, en lisant un texte écrit par un autre et qu’elle découvre pour la première fois.

Le contexte, ce sont ces codes sociaux implicites dont personne ne comprend très bien l’origine ou le sens. On se dit bonjour en faisant semblant de se reconnaître (je ne connais pas les stats parce que tout le monde élabore des stratégies plus ou moins convaincantes pour laisser sous-entendre qu’il se souvient de la personne mais je pense que le nombre de gens qui ne se « remettent » pas en soirée est drolatique). Ou en accompagnant son mot d’un petit geste du corps qui sous-entend que la conversation s’arrêtera là.

On se sert la main et puis rien, on passe au suivant, parce qu’on n’a rien à dire ou pour faire semblant d’être très buzy, si je perds du temps avec toi je n’aurai pas le temps de saluer tout le monde et risquerais de me faire mal voir. Mais à nouveau, sauf pour des postes qui l’exigent, comme en politique, la personne joue probablement un rôle pour se donner une contenance. Donc, pour le dire autrement, si vous mettez les pieds dans le plat en lui disant que vous ne la reconnaissez pas elle en sera probablement plus soulagée qu’offensée (ou ça lui donnera matière à humilité mais en fait ce n’est pas votre affaire). Ou si vous avez envie de lui parler, faites-le, poussez la porte du non-verbal.

Parce que le contexte, c’est aussi ces personnes qui restent en grappes comme dans la cours de récré, s’appuyant sur la force du groupe pour ne pas avoir l’air d’une brebis égaré. Car une fois qu’on a perdu « son » groupe, allez-y pour en réintégrer un sans passer pour un lourd qui s’immisce dans une conversation vulgairement. Pourtant, ça vaut le coup d’essayer, allez savoir, vous allez peut-être sauver quelques personnes d’un ennui mortel, d’autant plus dans la mesure ou vous décidez d’abordez un sujet qui intéresse plutôt qu’une banalité ou un gossip.

Si un vous ne trouvez pas que machin a vieilli peut avoir son efficacité, cela ne fera pas monter le niveau de conversation et votre karma. Les petits fours sont atroces, peut déjà être plus neutre, si le traiteur n’est pas aussi l’invité d’honneur ce jour-là mais ne vous apportera pas la stimulation intellectuelle recherchée, on ne va pas se mentir. En revanche un je suis contente de vous voir parce que je recherche un partenaire pour ma start-up, s’il peut paraître un peu brutal, aura le mérite de vous éviter de tourner autour du pot, ce qui rend tout le monde nerveux, puisqu’il oblige l’autre à attendre poliment que vous crachiez votre morceau, ce qui relève plus de la prise d’otage que de la mise en réseaux.

Oser dire les choses pertinentes, être le porte-parole de ce que d’aucuns pensent tout bas, à donc une vraie fonction sociale contre l’ennui tout en ramenant de une forme d’authenticité dans la pièce. Soudain, l’ambiance devient plus chaleureuse, les humains remplacent les robots en pilote automatique. Evidemment ça ne fonctionne pas à tous les coups, évidemment ce n’est pas toujours apprécié, mais je vous invite à y songer, la prochaine fois que vous vous retrouverez avec cette sensation désarmante « de ne plus savoir quoi faire de vous même » ou avec l’élan de le faire mais la crainte de déranger.