La théorie de la crotte de nez ou comment contourner les pare-feux qui nous empêchent d’avancer ?

 

Se baser sur ce qui ne demande pas d’effort

Pas besoin de plumes ou de tambours pour qu’un moment se transforme en rituel. Evidemment, le fait de poser une intention consciente en allumant une bougie ouvre un cadre. On conscientise le moment qui passe. Il devient spécial, avec un avant et un après. Il se marque dès lors plus facilement dans la mémoire parce qu’on a pris le temps de l’organiser, de s’y rendre, de réfléchir à ce qu’il représente pour nous, à ce qu’on attend de lui.

Bref, ce n’est pas un simple trajet de bus maison-boulot qui se fond dans la masse informe des expériences devenues peu à peu hypnotiques à force de répétition.

 

Les nouveaux cercles de femmes qui célèbrent le cycle lunaire par la méditation, la gratitude, le tirage de tarots en sont un bon exemple. Ces rendez-vous avec la lune peuvent prêter certains à sourire, mais ils démontrent combien nous avons besoin de nous reconnecter au vivant et à la matière. Mais ça vous le savez déjà. 

 

En revanche, avez-vous pensé à l’importance de l’intangible dans ce contexte ? La lune à toujours été là, contrairement à l’IA et à Trump. C’est réconfortant, imaginez, elle a connu les dinosaures. Et peut-être se fiche-t-elle éperdument de nos préoccupations du moment, elle en a vu d’autres, elle en a vu tellement. Peut-être a-t-elle la responsabilité de rester dans son orbite pour maintenir l’équilibre de notre planète. Peut-être se demande-t-elle si la météorite là qui s’avance vers elle va la percuter plus ou moins violemment.

 

Comme notre chat qui nous regarde partir les matins d’hiver dans le noir et sous la pluie pour aller travailler, sa perception du réel peut nous permettre de sortir de nos obsessions du moment. 

Si vous me dites que vous n’en avez pas, je ne vous crois pas. Statistiquement, vous devriez vous retrouver dans l’une de ces catégories : 

 

  • La pression familiale : être à la hauteur, ne pas décevoir, héberger ce cousin qu’on déteste, ne pas oser dire non, aller à ce mariage etc (les figures de mères ou de belle-mère sont d’excellents vecteurs, mais ça peut être aussi “prend soin de la famille mon fils c’est ta responsabilité d’homme”). On peut décider qu’on s’en fiche, il y a toujours une phrase, une personne, un événement – les décès sont les plus dangereux – qui parvient à titiller là où ça fait mal. Variante : les relations entre collègues.
  • Ramener de l’argent : pour nourrir sa famille, pour payer ses dettes, pour briller en société, pour payer son ex-partenaire parce qu’on a perdu le divorce, …. Variante : est-ce que je vais réussir ma vie, trouver une place dans la société, avoir un job épanouissant, rémunérateur, rejoignant mes espérances/celles de ma famille/de mes besoins supposés etc
  • Réussir à terminer ce jeu (vidéo, lego, sportif)
  • Est-ce que ce mec/cette femme pense à moi là maintenant, est-ce que je l’ai marqué, est-ce que ça a compté pour lui/elle ? Variante : est-ce que je vais baiser ce soir?
  • Ma copine m’a dit ceci ou cela, est-ce que c’est vrai ? Est-ce qu’on me perçoit de cette façon, est-ce que ce faisant je ne suis pas aimable ? Est-ce que j’ai un problème ? Angoisse sous-jacente : suis-je digne d’être aimé ?
  • Et ma préférée : les taches sur le col de la personne en face de vous, ou la mouche dans ses cheveux, la feuille coincée entre ses dents ou pire, la crotte de nez qui dépasse. C’est toujours magique parce qu’à cause d’un micro-élément de rien du tout soudain la tension monte, on a besoin d’une concentration de dingue pour parvenir à suivre une conversation parfois totalement banale, on devient nerveux, il faut lui dire, oui mais comment, si je lui dit trop tard c’est pire, etc vous connaissez la chanson. 

 

Ce qui me fascine particulièrement dans cette obsession c’est le moment de bascule qu’elle porte en elle, ouvrant la porte de la dissolution pour un temps des codes sociaux pour une cause supérieure

(mais qui trouve sa source dans les codes sociaux eux-mêmes et ça c’est intriguant). En d’autres termes : je dois dire à cette personne qu’elle a quelque chose d’imperceptible pour elle qui m’empêche de me concentrer sur autre chose parce que socialement ce n’est pas acceptable. Mais pour pouvoir le lui signifier, je dois sortir des codes sociaux habituels, créant un paradoxe qui, dépendant du contexte et de la personne qu’on a en face de soi, de sa capacité à fuir ou à contourner les règles, va créer un moment unique d’improvisation totale. 

 

Quand on y pense, dans nos sociétés ultra réglementées, où on peut se balader en string – topless sur un bout de plage mais pas 20 mètres plus loin sur une digue, où on montre des femmes à moitié nues sur des affiches publicitaires en pleine rue mais on s’insurge devant une femme qui alaite, (des contradictions qui rendraient toute théorisation hasardeuse et perplexes les extra-terresters), il est rare d’avoir ce type de moment de bascule qui nous oblige à une remise en question de ce qu’on prenait jusque là pour acquis sans trop y réfléchir.

 

Bref, pour revenir à nos rituels lunaires, qu’on se moque ou non de ces façons parfois maladroites de se reconnecter aux rituels anciens, ils ont le mérite d’apporter un peu de réconfort et de chaleur humaine à ceux qui les pratiquent (et s’ils peuvent en prime apporter des réponses concrètes et claires à nos préoccupations/obsessions du moment via un tirage de tarot collectif c’est encore mieux – et peut-être le moteur inavoué de certain-e-s). Parce que oui, nous avons besoin de cela.

 

Et ce n’est pas pour rien si, comme les obsessions, les rituels se sont adaptés certes, mais sont toujours dans nos vies.

Parce qu’un rituel c’est quoi finalement ? Une action que l’on effectue globalement de la même façon à un moment précis avec une intention un peu magique.

Si les cercles de femmes lunaires ont une dimension consciente et collective, il existe plein de petits rituels individuels (ou collectifs) que nous réalisons en toute inconscience. En voici une liste non exhaustive : 

 

  • Les tocs, les tics pour contrer nos peurs : refermer plusieurs fois sa porte d’entrée pour être sûr, compter les marches d’escalier, nettoyer, ranger pour contrer la peur de la mort apportée par la saleté par exemple etc
  • La cigarette après le repas “pour digérer” (ou pour avoir une excuse pour aller prendre l’air, ou pour acter la fin du repas, avoir un moment pour se retrouver seul ou une discussion en tête à tête avec quelqu’un en particulier)
  • Boire du champagne pour célébrer quelque chose de spécial (quel coup marketing de dingue quand on y pense ), manger du sucre pour célébrer les moments joyeux, boire un café le matin etc. L’un de mes collègues qui se levait à 4h du matin car il travaillait très tôt a magistralement démontré l’effet placebo du café quand il s’est aperçu qu’il buvait en réalité du déca chaque matin depuis plus d’un an.
  • Tout passage, réussite, départ, bref, tout changement se fait toujours autour de la nourriture dans notre société. Imaginez un pot de départ, un anniversaire ou même un enterrement sans bouffe. Il manquerait quelque chose, ça se matérialiserait presque physiquement, ça nous rendrait nerveux. On a déjà tous vécu cette envie irrépressible de manger même si on n’a pas faim dès lors qu’on constate que le traiteur radine sur les petits fours et les distribue au compte-goutte. La chasse au serveurs devient une obsession et tout le monde soudainement sait parfaitement où se situe la cuisine.
  • Et puis il y a les mariages. Malgré le taux de divorce et les emmerdements et coûts innommables que ça implique, le mariage garde toute sa puissance rituélique – et tant pis pour son symbole premier de soumission de la femmes pour s’approprier et s’assurer de la pureté de sa descendance. Je ne jette la pierre à personne, j’ai moi-même ressenti l’intense nécessité de rejoindre le groupe de ceux qui avaient expérimenté ça dans leur chaire. 

 

Bref, vos rituels persos, ce sont toutes ces choses que vous faites d’office dans des occasions particulières et que si vous en êtes empêchés, ça vous rend dingue

(pensez à votre place à table, ou sur le canapé, ou dans une voiture ou même dans un avion) J’ai une amie qui a préféré faire 20h de vol sans être à côté de moi pour être côté couloir. Peut-être n’avait-elle pas envie de supporter ma présence mais je trouve ma première analyse plus pertinente). 

Imaginez la tension immédiate qui vous parcourait enfant quand votre frère, soeur, cousin, ou pire, invité, s’installait à la place que vous connaissiez par coeur, qui vous donnait un angle de vue spécifique sur la pièce, ce je ne sais quoi de réconfortant qui soudainement s’effondrait, obligeant nos sens à refaire tous les calculs nécessaires pour retrouver un certain équilibre intérieur face à tous ces changements.

 

Si cet exemple peut vous sembler trivial, pensez à maintenant. On nous enjoigne constamment à “sortir de notre zone de confort” mais c’est un peu comme le “prends du temps pour toi”, ou le “lâche-prise” ça ne veut rien dire, ce n’est pas concret, c’est culpabilisant et condescendant à force de répétition, quand on a 3 enfants en bas-âge, un job, des conflits avec un collègue et un mari qui considère que faire la vaisselle représente le summum des nécessités quotidiennes de logistique d’une maison (et que de toutes façons il n’a pas le temps, il doit dépasser son record à candy crush). 

 

Ou demander à la personne un peu sauveuse du groupe (celle qui va toujours chercher – et trouver – des solutions pour tout et pour tout le monde, le roc, celui qui n’a pas le droit de craquer sinon il fait s’écrouler toute la systémique autour de lui), de lâcher-prise reviendrait de son point de vue à l’enjoindre de risquer de détruire l’équilibre de ce qu’il construit depuis des années. Et le sens qu’il y a mis. Et après on s’étonne que personne ne le fasse. Bizarre.

 

On ne va pas révolutionner le monde en rajoutant une charge supplémentaire à ceux qui la portent, ça n’a aucun sens. Ça ajoute juste une tension supplémentaire dont on se passerait bien.

Si, si vous voyez, ces petites recommandations reçues sans les avoir demandées quand vous exprimez une difficulté : “tu devrais ceci ou cela”, “j’ai lu que”, “t’as pas fait ça” etc (qu’on ne peut pas s’empêcher de formuler aussi d’ailleurs, pour être honnête, dans ce genre de circonstances). En revanche, se baser sur ce que nous faisons déjà demande techniquement moins d’effort.

 

Savez-vous quand vous êtes en pilote automatique ?

 

La sociologie s’est beaucoup penchée sur cette question : nous avons besoin d’automatismes dans nos vies pour mettre notre mental au repos. Parce que oui, changez un paramètre et le stress s’instillera dans vos veines, variant selon votre sensibilité.

Pensez à ce rendez-vous dans un lieu/ avec une personne que vous ne connaissez pas. Vous évaluez le temps mais n’êtes pas certain-e, peut-être y aura-t-il des embouteillages, aurez-vous du mal à vous garer, un parcmètre foireux ? Peut-être que la personne avec laquelle vous avez rendez-vous aura du retard, vous obligeant à ressortir pour rajouter des sous dans le parcmètre, oui mais vous êtes garé loin, et si du coup le médecin /avocat/notaire/RH sortait et prenait du coup l’autre personne qui attend et est déjà là ? Alors il vous faudra demander à votre mère d’aller chercher les enfants à l’école, mais du coup accepter ce dîner qu’elle veut absolument faire pour préparer les vacances cet été. Ou vous ne voulez pas aller, mais que vous trouvez important pour les enfants, mais en même temps n’est-ce pas sacrificiel ? Une voyante vous a justement dit de vous méfier de votre tendance à vous sacrifier.

Bref, vous avez compris. L’inconnu peut être source de points de bascule vers le chaos. Les automatismes, en revanche, c’est confo, ça roule.

 

Le problème, c’est qu’à force de tout automatiser pour faciliter notre confort, on oublie de se mettre en danger pour faire entrer l’inconnu.

D’inconfortable, chaque petit grain de sable dans notre rouage parfait devient inadmissible. N’importe quel événement qui empêche de dérouler la journée comme on l’avait prévu devient intolérable, voire source de victimisation. 

 

Pourtant, fait intéressant, quand on voit ses amis ou sa famille, c’est précisément ces grains-là qu’on évoque. Parce que c’est un événement qui nous sort de la léthargie des automatismes, qui nous oblige à sortir du pilote automatique. Il procure des émotions, et demande réflexion pour réévaluer, réintégrer les nouveaux paramètres en jeu. On n’aurait jamais pensé être capable de, et pourtant on l’a fait. 

 

C’est probablement ce qu’on recherche quand on part en vacances faire de la plongée/ du saut en parachute / des huttes de sudation chamaniques. Mais ça reste du domaine de la maîtrise :

on attend un service d’une personne expérimentée, on regarde les avis sur Internet, on réserve pour un horaire précis. Donc oui ça nous donnera des sensations, évidemment, et une expérience nouvelle, parfois très forte et très intense mais ça reste un chaos organisé par externalisation des automatismes sur une personne rémunérée pour, qui veille à notre sécurité et en porte toute la responsabilité. 

 

La mise en danger utile

Le chaos, c’est ce moment de bascule qu’on a déjà tous vécu quand un événement vient changer le cours de notre journée, quand le temps lui-même ne veut plus rien dire. Par exemple en cas de décès. Ou quand on apprend qu’on est viré. Ou quand l’école appelle pour prévenir que notre enfant a eu un accident. Soudain, ce qu’on était en train de faire n’a plus aucune importance, les priorités changent complètement, on doit tout improviser, le temps passe à toute vitesse et on ne sait pas trop quand le temps retrouvera son rythme de croisière.

On se passerait tous bien de ce genre de nouvelle, même si ça nous apprend des choses sur nous et les autres, même si ça nous fait réfléchir autrement, même si… Mais sans en arriver à de telles extrémités, faire entrer une dose contrôlable de chaos dans notre vie peut avoir des effets intéressants. C’est-à-dire se confronter à l’inconnu pour laisser un peu d’inattendu entrer dans notre vie pour stimuler notre créativité, créer de nouveaux liens sociaux, se découvrir une nouvelle passion, comme quand on part en vacances et que soudainement l’idée jaillit, parce qu’on est sorti du cadre de l’habitude. 

 

C’est ce que j’appelle la mise en danger utile, celle qui nous challenge juste suffisamment pour faire émerger ce qu’on recherche de positif sans rendre notre vie insupportable.

Avec un peu d’entraînement et une conscientisation de nos rituels, automatismes mais aussi de notre rapport au temps, la mise en danger en question se transforme elle-même en automatisme, ce qui est quand même cocasse.

 

La recette est simple : 

 

  • Commencer par prendre la distance de la lune ou du chat, pour élargir l’angle que l’on porte sur la situation et nous permet de réaliser le poids de ce problème dans notre vie 
  • Décider consciemment de poids réel à lui accorder (que ce soit considéré par votre entourage comme pertinent ou non d’ailleurs), c’est-à-dire notre degré d’obsession face à la problématique en question
  • Réfléchir, sur base de ces différents paramètres, à la façon de faire entrer le plus petit commun dénominateur de chaos pour que ce soit gérable/tolérable, et nous fasse sortir du problème avec parfois en bonus, la découverte d’un sens caché, ou de nous-même, ou d’un autre problème caché (ou rien du tout, le chaos existe, même si on fait semblant que non, et parfois il frappe au hasard, sans demander notre avis). 
  • S’y confronter en tenant compte des rituels et automatismes qui jalonnent notre quotidien et en se focalisant sur eux pour, comme le petit poucet jalonner notre route d’éléments rassurant (je sais il se perd finalement mais nous on s’en fiche on veut avancer pas revenir sur nos pas).

 

Quelle est ma perception singulière du temps?

 

Vous avez déjà remarqué que le temps n’a pas la même densité en fonction du jour et de la nuit ? La nuit, le temps se dilate, on s’octroie plus de détente comme si les heures ne comptaient pas de la même façon. Même si ça peut générer une forme de plaisir coupable, parce qu’on pense au lendemain, à notre to-do, à la nécessité d’être en forme, il est admis qu’on ne doive pas répondre aux sollicitations sociales endéans ces heures-là, ce qui nous offre une plage de liberté plus conséquente.

 

Le temps est un outil, comme l’argent, qui organise la société. La façon dont on l’investit, elle, est culturelle.

Réfléchissez, dès qu’il y a des “je dois” et “il faut” qui arrive dans notre tête, il y a souvent une injonction sociale derrière (qu’on valide ou non d’ailleurs). Faire entrer une dose de chaos pourrait donc être pour certains prendre 5 minutes de pause déjeuner supplémentaire plutôt que d’arriver à l’avance au bureau “pour être sûr”. Parce que ça va leur provoquer un stress tout simplement. Mais qui est du domaine du tolérable en séquençant encore plus l’outil temps avec des tâches qui relèvent du domaine de l’automatisme. 

 

Séquencer son temps singulier 

Pour faire simple, pour enfin parvenir à me confronter aux situations de stress qui se présentent à moi, je trompe mon cerveau en lui faisant oublier qu’on vit du chaos en lui faisant faire des tâches tout à fait banales, du quotidien. Exemple : je n’arriverai jamais à réussir cet examen/entretien ou j’ai peur d’aller à ce rendez-vous peut se modifier en : je dois y être dans 1h donc : 

 

  • je me lève (comme chaque matin). C’est pas compliqué cerveau regarde on connait par coeur, rien n’est différent de d’habitude dans la pièce
  • je m’habille – ce n’est pas compliqué je tiens compte du temps qu’il fait dehors – là je peux me permettre d’ajouter un petit rituel en portant un objet qui me donne de la chance par exemple
  • je déjeune en étant parfaitement à mon déjeuner, sans penser à l’après juste “je réponds à un besoin humain que j’assouvis chaque jour de ma vie”
  • je sors de chez moi, je pense à mes clés, les affaires que je prends chaque jour dans de telles circonstances. Ce n’est pas compliqué d’effectuer ces gestes, je les connais par coeur
  • Je marche, comme chaque matin, un pied devant l’autre, c’est banal, c’est neutre, c’est automatique depuis que j’ai 1 an et demi
  • Je prends ma voiture/le bus/le taxi etc… Je m’assieds sur le fauteuil, je regarde par la fenêtre, les autres personnes suivre leurs propres automatismes du quotidien.
  • Je sors de la voiture
  • Je marche
  • J’ouvre la porte d’entrée d’un bâtiment
  • Je parle avec une personne de l’accueil
  • Etcv

 

Évidemment je sens bien le bouillonnement de mon estomac, la peur qui attend sagement qu’on vienne s’occuper d’elle. Mais ce n’est pas le moment de la laisser me brouiller le cerveau. Là maintenant, en séquençant chaque tâche, tout semble normal, c’est moi qui décide (ou non) d’y ajouter une intensité contextuelle. Evidemment qu’il y a des contextes qui s’imposent à nous par leur intensité mais je peux décider qu’à ce moment-là je me focalise sur le reste.

 

Parfois nos stratégies d’évitement sont trop fortes, le chaos n’arrive même pas jusqu’à nous par petit bout. Soit on refuse toutes les invitations si on ne connait pas assez de personnes sur place ou qui demanderaient un transport non maîtrisé. Soit on se focalise sur ses obsessions pour remplir notre temps et ne pas se confronter à cette tâche administrative importante, cet entretien d’embauche, ce message d’un amoureux etc qui restent en sommeil.

 

Comme notre budget, la façon dont on séquence notre temps en dit beaucoup sur les domaines réels dans lesquels nous investissons.

En relisant notre journée, s’il est de bon ton aujourd’hui d’écrire ses gratitudes, je suggère aussi de réaliser les endroits qui nous ont permis de faire entrer l’inconnu, sans contrôle, parce que ces moments-là rythment le temps différemment. Parce qu’en nous sortant de nos automatismes, ils nous réveillent, en donnant une autre forme au réel, et à notre place dans ce réel. Parce qu’ils modifient notre sens des priorités et élargissent nos perceptions du monde. Et parce qu’on peut s’y confronter par petits morceaux, en accomplissant des tâches simples, connues et répétitives. Il y a chaque jour des occasions de s’adonner à cet exercice. On a tous des petits défis en tête qu’on reporte systématiquement. Alors que souvent le plus dur est de s’y mettre. En se levant, en descendant les escaliers, en faisant un café, en ouvrant son ordinateur, en s’asseyant sur une chaise, en tapant sur le clavier, et alors soudain, petit bout par petit bout, les mots prennent un sens nouveau, comme des notes de musique, une mélodie se fait entendre, qui parfois, représente juste notre fierté et soulagement d’avoir pris cette tâche à bras le corps, nous libérant de surcroît de la mélodie beaucoup moins agréable de la culpabilité et de l’angoisse.