Blog

Arrêtez d’être parfait c’est chiant

Ca a d’ailleurs changé ma vie ! Parce qu’on ne peut pas échapper aux nouveaux préceptes du savoir vivre, ils sont partout, dans toutes les bouches, dans toutes les publicités.
Alors, depuis quelques années maintenant, j’ai acquis de nouvelles habitudes, sans même m’en rendre compte, si si, de façon insidieuse mais efficace, ça a colonisé chacun de mes gestes :
– je me lève le matin, je culpabilise parce que j’ai oublié mes 3 minutes de méditation et mes postures de yoga pour saluer la journée qui commence et la démarrer du bon pied.
– Je prends mon café (non équitable et peut-être même pas bio) oui Jim, à jeun, oui je ne déjeune pas forcément, et oui je le bois en pyjama, au lieu de prendre ma douche d’abord, ce qui me fera perdre 3 minutes 50 sur mon planning,juste pour le plaisir de m’offrir, via cet acte hautement subversif, le plaisir de me sentir un peu en week-end. Tout ça sur fond bien sûr, de culpabilité
– Je prends alors une douche, trop chaude, pourtant oui, je SAIS que c’est mauvais pour ma circulation sanguine mais, je réponds à ma culpabilité : tu comprends, je n’ai pas mis de chauffage, pour sauver la planète tout en préservant mon sommeil Mais là j’ai froid, j’ai besoin de me réchauffer. Mais c’est toujours elle qui gagne. Elle me répond que je suis une chochotte.
Bref, je ne suis même pas encore sortie de chez moi que je me sens déjà totalement nulle.
C’est ça, le graaaand piège des livres de développement personnel : personne ne peut tenir tous ces préceptes dans la durée, en vrai, mais comme on ne peut plus y échapper, comme on SAIT ce qu’on devrait faire idéalement, eh bien toutes nos lacunes, tous nos manquements, toutes nos faiblesses, bref, nos échecs cuisants, sont ainsi révélés au grand jour.
Ce qui a pour corollaire assez vicieux de réveiller, si besoin est, une certaine forme de compétition : machin va tous les jours bosser à vélo alors que moi je pourrais au moins prendre les transports en commun. Ma collègue, virgule elle virgule, va nager sur le temps de midi. C’est généralement la même qui a le temps de se cuisiner pour son déjeuner des petits plats sains qui ont même l’air bon pendant que moi je mange mes sandwichs triangles achetés trop chers dans une station service.
Sans compter Machine qui parvient à se coucher tous les jours à 10h du soir alors que moi j’ai encore matté une série jusque minuit, en mangeant du nutella, oui Jim, alors que je suis en pleine cure detox (je ne sais pas vous mais le simple fait d’entamer une cure de ce type réveille instantanément en moi l’envie d’ingrédients qui m’indiffèrent en temps normal) !
Alors, comme pour contrer le problème, on se moque de ceux-là. De tous ceux qui, à nos yeux, semblent parvenir, sans effort, à atteindre NOS objectifs. Parce qu’au fond, on est un peu jaloux, nous aussi on aimerait vivre jusqu’à 107 ans, en gardant une peau de bébé et une pêche d’enfer.

Bref. Je pensais qu’on avait fait le tour, je pensais que la culpabilité avait fini par épouser la moindre parcelle de mon existence (parce qu’encore, je ne vous ai pas fait le couplet sur les enfants et la gestion vie professionnelle/vie privée/ tâches ménagères/ couple).
Mais voilà que NON ! on veut toucher à mon cerveau, à ma façon de penser, Jim, tenez-vous bien : maintenant, on veut me faire arrêter de râler !! Pendant 1 mois en plus, probablement pour que ça devienne une habitude !
Mais je me suis renseignée sur la question : c’est inhumain, puisque nous sommes tributaires de l’adaptation hédonique, une théorie validée scientifiquement, qui affirme qu’on s’habitue à tout et donc aussi à quelque chose qui améliore pourtant substantiellement notre vie. Ce qui signifie que, même après un grand bonheur, la sensation de bien-être revient relativement vite à sa position initiale. En d’autres termes, nous sommes des râleurs congénitaux en puissance. Donc, en vrai, tant que j’ai encore le droit de m’exprimer, voilà ce qu’il s’est réellement passé dans ma tête avant ma douche trop chaude :
– Mon café était trop chaud ce matin, puis je l’ai oublié et quand je m’en suis souvenue il était déjà tiède (sot pire que froid). D’ailleurs il faudrait que je lave le filtre, il commence à y avoir des algues dedans.
– Ce qui me rappelle que je dois encore nettoyer l’aquarium et la litière du chat
– Ce qui me rappelle que c’est toujours moi qui les fait
– Ce qui me rappelle que je dois vraiment en parler sérieusement à mon conjoint mais que je ne suis même pas certaine de la réussite de ma requête puisque, au passage, ça me rappelle qu’il ne m’écoute jamais
– Ce qui me rappelle que ça fait des mois que je lui ai dit que je voulais partir en vacances
– Ce qui me rappelle que machine, elle, elle est déjà partie 3 fois au soleil cette année, j’ai vu ses photos sur FB
– Ce qui me rappelle qu’elle est plus mince et bronzée que moi. Et son mari plus riche que le mien
– Là c’est généralement le moment où ma fille hurle parce qu’elle ne veut pas la pomme que je ne lui ai pas proposée pendant que sa soeur renverse son verre d’eau sur les vêtements que je viens de lui enfiler au prix d’intenses négociations. Evidemment ça n’arriverait pas à machine. Machine ses enfants sont parfaits. Ou alors, elle a une nounou.
– Bouhou je vais me recoucher. Ah non. On est lundi.
Alors, bien sûr, tout n’est pas à jeter dans le développement personnel. D’ailleurs je suis ravie d’avoir le plaisir d’interviewer tout à l’heure dans cette émission le grand psychiatre français Christophe André dont les travaux ont changé des vies. Mais je suis plutôt partisane du remplissage des vides plutôt que de la création de trop plein. Je m’explique : plutôt que des injonctions négatives du type « arrête ceci ou cela », je préfère créer des habitudes annexes, positives, pour compenser, comme par exemple cultiver la gratitude (oui, oui, c’est compatible avec la râlerie, l’un n’empêche pas l’autre !, l’idée étant qu’à terme, de façon naturelle, le dernier puisse évidement remplacer le premier. Cela ne signifie pas, entendons-nous bien, sourire béatement aux soucis du quotidien, mais plutôt prendre le temps de s’arrêter pour observer ces petits coups de bol qui jalonnent notre journée. Par exemple, je kiff particulièrement :
– Quand ma file avance plus vite au supermarché. J’en rajoute une couche en prenant bien le temps d’observer les mines mi-exaspérées mi-coupables de ceux qui sont piégés dans la file d’à côté qui, elle, n’avance pas. Généralement vous observerez un non verbal qui ne trompe pas et évoque à peu près cette haute activité rationnelle totalement contre-productive du : « mais pourquoi je me suis mis derrière c elle-celui-là, j’aurais bien du voir qu’elle allait prendre deux heures cette nouille ! »
– Je prends vraiment le temps aussi de savourer j’entends l’infotraffic annoncer de « gros embarras de circulation » et que je ne suis pas dedans.
– Ou quand ma carte de banque fonctionne encore en fin de mois alors que je m’attendais à ce petit moment de honte du bon ben heu attendez je vais essayer cette carte-là, peu convaincu
– Ou quand ce n’est pas moi qui suis à côté de celui qui sent si fort là, dans le train
– Ou encore quand je remarque que le caissier s’est trompé en ma faveur et que c’est trop tard pour faire demi-tour
– Ca marche aussi quand je vois que mon pull payé trop cher en début de saison qui a été soldé mais que ouf, il n’y a plus ma taille (je ne pousse quand même pas le vice jusqu’à demander à la vendeuse s’il ne resterait pas quand même ma taille dans la réserve)
Pour ceux qui, en m’écoutant, culpabiliseraient en pensant être incapables de cultiver la gratitude, sachez que vous le faites très probablement sans vous en rendre compte, quand vous générez inconsciemment des situations de stress pour le plaisir de résoudre la situation ! Mais si, vous savez :
– Quand vous arrivez à l’aéroport à temps mais que vous manquez quand même de rater votre avion parce que vous avez trop traîné dans le free shop (quelle chance dis ! ils ont fermé les portes juste derrière moi !)
– Quand on arrivez aux payages en France sans être certains d’avoir suffisamment de monnaie pour payer mais que vous avez zappé la file « carte bancaire », toujours un stress ce choix de file (Ouf j’avais juste assez ! A 20 cents près c’était fichu !)
– Ca marche aussi quand vous arrivez à 18h30 au nettoyage à sec pour chercher votre costume la veille d’un mariage. Ca va avec ceux qui remplissent leur fiche d’impôt la veille du dernier jour (ouf ça n’a pas bugué !)
– Il y a aussi les spécialistes comme moi qui attendent toujours qu’il ne reste qu’un litre et demi dans leur réservoir pour remettre de l’essence dedans (quelle chance dis ! encore un peu et je manquais tomber en panne !)
– Les champions du monde de cette technique restant à mes yeux ceux qui partent faire l’ascension du mont blanc en hiver (sérieusement qui peut se dire, génial ! marcher dans le froid glacial en risquant ma vie sans voir à 20 mètres devant moi –c’est-à-dire sans vue, sans odeur de fleurs, sans douce caresse du soleil ?)

Alors pour toutes ces situations, on vous parlera sûrement d’actes manqués révélateurs de votre subconscient et de vos désirs cachés. En attendant, n’oublions pas que ce sont précisément toutes ces petites failles qui composent notre humanité pouvant, au passage, en révéler la lumière. Alors rendez-vous service : ne vous jugez pas trop sévèrement, car finalement, ce que vous vivez là comme étant désagréable ou comme un échec cuisant peut aussi se révéler source d’un un grand bonheur. Pensez à toutes ces fois où vous vous êtes dit, « finalement, heureusement que… Une situation joliment illustrée dans Pile et Face, le film avec Gwyneth Paltrow. Et n’oubliez pas non plus que tout ce qui est dit ici ce n’est qu’un point de vue. Pas une obligation. Ni forcément la panacée. Appropriez-vous ce qui vous sert. Evacuez le superflu. Parce qu’après tout, on dénonce à corps et à cri les filtres Instagram qui rendent le grain de peau parfait et subliment le maquillage, mais on n’oublie que ces mêmes filtres sont utilisés depuis la nuit des temps pour faire plutôt envie que pitié.

Chronique écrite pour Radio Judaïca en janvier 2018