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De la solitude existentielle en début de grossesse

Ce n’est pas une contradiction féminine, non, tenir un test de grossesse positif fait partie de ces moments rares de confrontation absolue entre le rêve, le fantasme, et la réalité. Un cocktail loin des cocotiers, croyez-moi.

Florence Foresti, dans son excellent Mother Fucker, a raison. Cette chape de plomb qui entoure la grossesse ne nous prépare absolument pas à ce qui nous attend. Mais pourquoi ? Il semblerait que nos paires féminines, n’en déplaise aux théories du genre sur la solidarité, n’aient aucun intérêt à nous soutenir dans ce moment crucial de notre existence.

Je les ai divisées en deux grands groupes: celles qui sont déjà mères et celles qui ne le sont pas.

Notez qu’ils peuvent être extensibles à l’infini et toucher de la plus lointaine collègue de travail à votre amie la plus proche.

– Votre mère et ses amies qui vous diront qu’à leur époque on était moins centré sur son nombril (prenez-le plutôt pour de l’inconscience)

– Vos amies qui ont déjà un enfant et pensent au suivant, ce qui les projette dans une phase de déni absolu (idem)

– Ces madones qui semblent avoir été forgées pour concevoir et que RIEN ne semble atteindre (visualiser « Maman j’ai raté l’avion » plutôt que « Les quatre filles du Dr March » vous serez plus proche de la réalité)

L’autre groupe type qui n’a aucun intérêt à vous éclairer rationnellement sur la question

– Celles qui voudraient être à votre place (si elles sont en couple depuis plus longtemps que vous, évitez-les pendant quelques temps)

– Celles qui vont se marier (auxquelles vous volez la vedette)

– Celles à qui ça évoque la fuite du temps et leur horloge biologique qui tourne

– Celles qui pensent perdre une partenaire de fiestas

– Et, plus douloureux, celles qui essaient d’avoir un enfant

Plus concrètement, voici un hit-parade des réactions pourries auxquelles vous serez confrontée :

– « Bon ben… c’est comme ça hein! »

– -« C’est une bonne ou une mauvaise nouvelle ? Une bonne ! Ah ben félicitations alors ! »

– « Bon ben on verra si ça ira cette fois »

– « Ah bon! Ben sorry hein, finie la belle vie ! »

– « 100 jours. 100 jours après la naissance du bébé tu pourras envisager de vivre à nouveau »

– « Profite-en après ils te renient et te hurlent dessus »

– « Oui… les enfants (soupirs) »

– « Il y a quelques âges sympas (re-soupir) »

– « Ca va te déformer, ton corps ne sera plus jamais comme avant »

Tandis que mille et une peurs vous taraudent – l’imagination devenant étonnement prolixe -:

– Vais-je faire une fausse couche ? / Souffrir le martyre à l’accouchement ? Mon corps va-t-il se déchirer ?

– Mon couple va-t-il en pâtir ? Peut-on concilier bébé et sexualité ? Une variante charmante : est-ce qu’il « le » sent ?

– Mon bébé va-t-il ressembler à… (remplissez par vous-même) ?

– N’est-ce pas un désir égoïste ? Vais-je accoucher dans ce monde de dégénérés ? (évitez les films policiers)

– Est-ce que je vais l’aimer ? Est-ce qu’il va m’aimer ?

– Je fais quoi s’il est moche ? Je m’ennuie d’habitude avec les bébés je vais faire quoi avec lui ?

– Comment je vais faire pour arrêter de fumer/boire/manger de la viande crue/ pendant 9 mois ?

– Et si je ne sais pas subvenir à ses besoins ?

Bref, quand on est enceinte on est toute seule.

Qu’on se le dise, alors que des hormones en ébullition ont besoin d’harmonie et de douceur, on a plutôt tendance à se mettre, en début de grossesse, dans des situations paroxystiques. Préservez-vous : prenez votre sourire le plus niais dans votre vie sociale, ça confortera tout le monde dans ses convictions, et ne vous avisez pas d’émettre la moindre plainte au risque d’être cataloguée de mauvaise mère (oui, déjà).

Pour des infos pertinentes, fiez-vous plutôt à votre instinct (celui-là même qui vous fera hurler sur les passants s’ils vous effleurent), et voyez ces mois à venir non pas dans l’attente, mais dans la découverte (il ne suffit pas d’avoir un lit et un matelas à langer pour être prêts).

Car oui, aujourd’hui, être enceinte, ça n’implique plus les mêmes conséquences qu’avant. Mais au-delà du rite de passage, pourquoi ne pas le concevoir comme une expérience qui apporte(ra) son lot de belles rencontres et de belles surprises (aussi) ?

Acceptez ce moment où vous perdez le contrôle pour le transformer en instant d’introspection. Avant on allait à la messe le dimanche. Il fallait bien que la société trouve un mode compensatoire.

Et surtout dites-vous bien que ce n’est pas parce que des milliards de femmes ont vécu ça avant vous que vous n’êtes pas uniques dans votre expérience.